L’année 2021 a été une année étrange mais pleine d’espoir pour le cinéma, alors que nous cherchions à nous remettre d’une pandémie mondiale et (espérons-le) à nous rapprocher d’un semblant de normalité. Les films se sont toujours trouvés dans une situation inhabituelle, avec plusieurs gros retards, surtout au début de l’année. Mais certains des films les plus importants sont finalement sortis en salles, tandis que les films indépendants ont continué à montrer leur résilience et leur importance. Lumière sur les films préférés des rédacteurs.
Etienne P.
Top 5 (classé par ordre de sortie)
Petite Maman, Céline Sciamma
Retour à l’enfance et prolongement d’une dynamique fantastique amorcée dans Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma narre dans son cinquième film une très belle amitié enfantine avec grande sensibilité. La réalisatrice filme avec tendresse ses jeunes protagonistes dans un voyage doux et lumineux, bien épaulée par la musique de Para One (également auteur de son premier film en tant que réalisateur cette année avec le très réussi et mystérieux Spectre : Sanity, Madness & the Family). Dans la continuité de ses précédents film, Céline Sciamma propose une nouvelle intrigue qui ne repose pas sur le conflit, mais fait la part belle à l’écoute, la complicité et l’intelligence de ses personnages. Petite Maman s’inscrit dans l’ambition narrative et thématique de son auteur et sa volonté de nouvelles représentations des rapports sociaux dans un film d’une grande beauté lyrique et sensible.
Titane, Julia Ducournau
Comme dans Grave, Julia Ducournau insuffle une dimension épique à son récit qui prend la forme d’un choc entre deux éléments en la rencontre des deux personnages principaux. La réalisatrice saisit toute la violence et l’ébullition de son récit dans un geste aussi radical qu’il est engageant. Bien ancré dans le body-horror, l’envergure du récit est en grande partie articulée par la corporalité des personnages avec, entre autres, d’intenses saillies qui explorent les extrêmes bouleversements corporels qu’ils traversent. Les protagonistes font corps avec leurs aspérités les plus monstrueuses et Julia Ducournau filme toute la noblesse et la beauté de cette monstruosité tout en allouant de très touchants moments de tendresse à ses personnages. L’ambivalence entre la monstruosité des personnages et leur rapprochement par leur amour est l’une des grandes beautés du film. Horreur et douceur, amour et monstre se confondent dans le film flamboyant et absolu qu’est Titane.
Drive My Car, Ryusuke Hamaguchi
Aussi dense et riche qu’il soit, Drive My Car réussit à aborder tous ses sujets très complètement : l’art, l’amour, le deuil et tant d’autres traversent le film d’Hamaguchi qui, sans jamais se perdre, filme une magnifique fresque sur les rapports humains. Dans ce long voyage où le réalisateur étend son récit dans des rythmes et dispositifs très distincts, ce dernier dépeint une vaste galerie de personnages et filme brillamment la complexité de leurs émotions. Le film d’Hamaguchi est particulièrement brillant pour son équilibre narratif et réussit toujours à basculer élégamment entre les personnages et leurs drames, tout en allouant une importance conséquente à chacun d’eux au sein du récit. Sans avoir recours à beaucoup de dialogue et en apportant un grand soin à chacun des sujets et détails qui composent son œuvre, Hamaguchi témoigne de la maitrise de son cinéma dans un film d’une justesse et d’une profondeur incroyable.
Les Olympiades, Jacques Audiard
Dans un éclatant noir et blanc, Jacques Audiard filme de très belles romances et fait honneur à la pluralité des relations et caractères qu’il met en scène. Épaulé au scénario par Céline Sciamma et Léa Mysius, Jacques Audiard réussit à mettre en scène le déploiement de l’amour d’une jeunesse contemporaine à travers ses quatre personnages principaux qui se complètent parfaitement dans leurs rapports amoureux. Bien accompagné par la musique de Rone qui s’accorde aussi bien avec les élans les plus électriques du récit tout comme avec ses plus doux, le film délivre quelques moments de grâce ou toutes les composantes de la mise en scène se confondent dans des séquences de danse, de mouvement qui captent toute la vitalité et l’être des personnages. Les Olympiades démontre une nouvelle fois l’intelligence et le talent de son auteur pour mettre en image son sujet, cette fois dans un ton et un style très différent de ses précédents films. Un opus surprenant, mais pas dissonant de l’œuvre de Jacques Audiard.
L’Evènement, Audrey Diwan
“Filmer un avortement ce n’est pas un dialogue avec l’histoire du cinéma”, ces mots de Céline Sciamma renvoie à tout l’enjeu de la mise en scène d’un avortement, au cœur d’une très belle scène de Portrait de la jeune fille en feu et du second film d’Audrey Diwan. Dans L’événement, Audrey Diwan s’approprie son sujet de l’avortement dans un film ambitieux, aussi juste dans sa douceur pour filmer sa protagoniste que pour mettre en image la violence de la réalité qu’elle traverse. Avec une certaine épure narrative et visuelle, la réalisatrice se place au plus près du regard et de l’émotion de son personnage principal et met en scène son parcours intime dans un geste d’une très grande vitalité.
William Carlier
Top 5 (classé par ordre croissant de préférence)
Benedetta, Paul Verhoeven
Benedetta est un long-métrage particulièrement radical, questionnant les limites de la foi telle qu’encadrée depuis des siècles par l’institution catholique. D’époque comme particulièrement moderne dans l’approche (ce second degré propre au style du cinéaste), le film pose un regard sublime sur l’émancipation de la femme. La sexualité est perçue comme une composante inaliénable de l’amour, mais également telle un moyen pour se libérer symboliquement de toute forme d’oppression. Jouant des symboles qui ont perdu de leur sens, la Vierge Marie la première, Verhoeven sublime son personnage, véritable Jésus crucifiée d’avance par les diables(ses). Cette confusion entre le sublime et le grossier, c’est encore aujourd’hui, le plus grand charme du cinéma de Verhoeven.
Drive My Car, Ryusuke Hamaguchi
Adaptation d’une nouvelle de Murakami, Drive My Car est un drame évoquant deuil et traumas du passé dont les personnages essayeront de s’affranchir par leur profession, artistique ou pas. Sous la forme d’une mise en abîme limpide de l’Oncle Vania de Tchekhov, l’œuvre trouve ses plus grandes scènes lorsque les personnages réussissent enfin à partager leurs souvenirs douloureux. Hamaguchi contraste très bien son propos, puisque si l’exercice artistique est utile pour se libérer de ses maux intérieurs comme pour mieux se connaître, il ne s’agira au fond que de prendre conscience de ce qui est à l’origine de la douleur ressentie. On l’aura compris, Drive My Car est le grand film sur l’incommunicabilité humaine du monde moderne, où le jeune comme le plus adulte peine à contrôler ses émotions. D’où la nécessité d’aller de l’avant, de parler à son prochain, de se laisser guider par l’autre. Un film indispensable.
Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof
Mohammad Rasoulof signe un film engagé contre la peine de mort, divisé en quatre grandes histoires sur près de deux heures et trente minutes de film. S’il s’agit de l’une des plus belles œuvres de cette année, cela aussi parce que Le Diable n’existe pas est une merveille de mise en scène, entre terreur et calme, la caméra du cinéaste ne cesse de bousculer son spectateur. L’exécution forcée ne cesse de revenir dans le film, bouleversant le cours des vies des hommes, qui ne parviennent pas à s’en détacher. En prenant soin de contrebalancer les quatre points de vue, le metteur en scène distille l’espoir notamment dans une deuxième et quatrième séquence absolument touchante de sincérité. C’est un long-métrage personnel, le réalisateur ayant été lui-même contraint au système, qui a reçu un Lion d’Or à Venise amplement mérité.
Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier
Julie (en 12 chapitres) est non seulement déjà l’un des plus beaux drames de la décennie, mais également un film pertinent sur ce qu’est l’homme et la femme aujourd’hui, au travers des réseaux sociaux et les médias, ainsi que le changement d’habitudes du monde moderne. La vie y est perçue comme une immense incertitude, à laquelle Julie ne puisse vraiment résister. Et s’il s’agissait du propre de chaque femme ? Amants, choix de vie différents, le film de Trier répond qu’il est impossible de juger l’autre seulement sur une erreur du passé, surtout lorsque cela regarde l’amour. Comme un souhait que le temps se réverse pour vivre de nouveau, Julie en (12 chapitres) évoque la vie comme un fleuve perpétuel des envies, et une perspective changeante à chacun au fil des âges. En un mot, universel !
Memoria, Apichaptong Weerasethakul
Pourquoi Memoria est-il le meilleur film de l’année ? Il n’est jamais aisé de se lancer dans le cinéma de Weerasethakul pour les néophytes, propre aux plans fixes, panoramiques lancinants et travail sensoriel. Ce serait pourtant, passer à côté, et encore aujourd’hui, d’un travail cinématographique absolument stupéfiant de qualité, et d’autant plus intéressant qu’il touche une culture qui n’est pas la plus abordée au cinéma, celle de la Thaïlande. Le dernier film du grand cinéaste pose la question d’un son, entendu régulièrement par une horticultrice, qui essayera d’en trouver l’origine et ses raisons. Contrairement au film précédent, Memoria évoque la vie non pas par les vivants mais les fantômes de la société moderne, divagant au sein d’extérieurs abîmés par le temps. Un film exigeant, qui renvoie à l’origine de l’homme et de l’univers, dans un dernier tiers sidérant de beauté sensorielle, à la fois dans les cadres et le son. Le souvenir d’une détonation sonore, pourrait être le souvenir d’une génération passée comme celui de la pluie dans la jungle, toute une infinité d’origines qui rendent raison à la tradition. Celle du souvenir, pour ne pas oublier la vie et la célébrer, pour comprendre davantage le monde qui nous entoure.
Louan N.
Top 5 (classé par ordre croissant de préférence)
Mourir peut attendre, Cary Joji Fukunaga
Le dernier volet de Daniel Craig dans le rôle de James Bond avait le potentiel de plomber ou de rayonner. Il s’est avéré être tout ce que j’espérais, un blockbuster démesuré avec de l’action époustouflante et riche en personnages que j’ai appris à aimer au fil des années. Le réalisateur Cary Joji Fukunaga tente de régler la plupart des problèmes tout en reprenant les éléments qui ont rendu la carrière de Craig si mémorable. Le plus important, c’est qu’il conclut de manière appropriée un arc narratif que le prochain Bond aura du mal à égaler.
Oranges Sanguines, Jean-Christophe Meurisse
Le scénario, écrit par Amélie Philippe, Yohann Gloaguen et le réalisateur Jean-Christophe Meurisse, nous entraîne dans une histoire pleine de rebondissements qui nous donne l’impression d’avoir changé de chaîne à mi-chemin. Par moments, les scènes se déroulent comme dans un film de Christopher Guest, où les acteurs ont dû improviser des dialogues pour créer une relation forte. Une excellente représentation du film de groupe moderne, où les histoires s’entremêlent et sont agrémentées de fentanyl. Une comédie méchante, savoureuse, au fond particulièrement ravageur.
Les Olympiades, Jacques Audiard
Audiard enchaîne les récits des Olympiades avec une énergie débordante, en mettant en évidence les sujets importants lorsqu’ils arrivent, mais en permettant aux événements de rester légers et cinétiques. Contrairement à la contemplation méditative de son précédent film, Les Frères Sisters, ce film traverse l’action à toute vitesse dans un flou de sexe, de bêtise et de cœur surprenant. Il s’agit de deux heures de divertissement cinématographique élégant et joyeux.
Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier
À la lecture de son simple synopsis, Julie (en 12 chapitres) peut sembler être un film indie stéréotypé sur le passage à l’âge adulte, mais l’exploration empathique de Joachim Trier sur la quête d’une âme perdue pour trouver sa place dans ce vaste monde est une croisade convaincante et candide à laquelle les spectateurs de tout âge peuvent s’identifier, tandis que sa structure subversive bouleverse toutes les attentes pour une histoire de ce genre et recentre notre attention sur les choses les plus fines de la vie, nous demandant de faire une pause en essayant de trouver un “grand projet” pour nous-mêmes et de tout simplement profiter du temps qui passe.
Titane, Julia Ducournau
Se présentant comme une bizarrerie d’horreur corporelle mais qui se délecte dans son exécution émotionnelle, Titane est vraiment sauvage et grotesque, mais aussi l’une des histoires les plus sincères portées à l’écran cette année. Ducournau a créé quelque chose de magnifiquement assuré ici, avec la captivante Rousselle et le complexe Lindon qui s’avèrent toujours à la hauteur de leur mission de créer des personnages entièrement réalisés à partir de descriptions qui pourraient être archétypales.
La rédaction.