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[RETOUR SUR..] Senna – Instable formule

Premier documentaire d’Asif Kapadia, Senna retrace la vie du champion de Formule 1 de son début de carrière dans les années 80 jusqu’à sa mort lors d’une course en 1994. Après Senna, Asif Kapadia réalisa d’autres documentaires sur de fortes personnalités, Amy Winehouse (Amy) sorti en 2015, puis il retraça la vie d’un autre grand sportif avec Diego Maradona, sorti en 2019.

Pour son premier essai dans le documentaire, le réalisateur choisit de composer son film uniquement avec des images d’archives, de courses ou d’émissions télé, sans intercaler de narrateur ou d’interview face caméra. S’il a conduit plusieurs interviews avec des journalistes et des figures importantes de la vie d’Ayrton Senna comme Frank Williams et Ron Dennis (dirigeants d’écuries pour lesquels il a couru) ou Alain Prost (son grand rival), le réalisateur n’intégra que leurs voix, souhaitant qu’elles s’intègrent de manière invisible dans son film. Les images d’archives sont alors le ressort principal du film qui peut s’appuyer sur un énorme travail de recherche et la compilation d’archives de télévisions brésiliennes, françaises et japonaises. Toutes les interviews d’époque, images de courses sont imbriqués efficacement pour servir les principaux fils conducteurs du film, la carrière d’Ayrton Senna et sa rivalité avec Alain Prost. Asif Kapadia se repose sur les images et donc sur le réel de l’époque pour construire son récit et tenter de se rapprocher de la pureté de son sujet, mais cette intention est cependant contrariée par plusieurs ressorts esthétiques du film.

© Universal Pictures

Si Senna retrace les principaux moments de la carrière du pilote brésilien, dont ses victoires en championnats du monde et au grand prix du Brésil, les images de course n’occupent pas une place première au sein du film et ne s’étirent pas dans la longueur. Les performances et exploits de Senna sont racontés et occupent une partie importante du récit, pourtant le film ne montre pas en détail ses qualités de pilote par l’image. Le style de Senna est décrit en début de film par un intervenant qui loue son tempo, son intelligence et sa détermination, mais les images de courses en elles-mêmes ne parviennent pas réellement à montrer les qualités de pilote de Senna ni en quoi son style diffère tant de celui de son rival, élément néanmoins évoqué à plusieurs reprises. Le rythme soutenu du montage est aussi préjudiciable à l’échelle globale du film.   

Les images d’archives s’enchainent rapidement, sans que le film s’attarde sur autre chose que les informations concrètes et évidentes qu’elles comportent. Asif Kapadia ne conduit jamais son film vers l’onirique ou l’abstrait pour un résultat convenu, paraissant écrit, alors que le film tente pourtant de capter l’aura et le charisme bien particulier d’Ayrton Senna.  Le documentaire pâtit également de régulière répétitions entre voix off et images d’archives, d’une musique peu subtile qui accompagne lourdement les moments les plus importants de l’intrigue et de quelques parenthèses très courtes et peu inspirées sur la vie familiale d’Ayrton Senna ou sur la situation socio-économique du Brésil.

© Universal Pictures

Les images choisies et assemblées parviennent à recréer les moments importants de la carrière de Senna mais les choix de montage ne fait pas toujours honneur aux ambitions esthétiques du film. Le montage qui fait dialoguer Senna et Prost en juxtaposant leurs interviews créent des moments qui paraissent, eux aussi, très écrits, dramatisés, détonnant avec la volonté d’Asif Kapadia de créer un récit fluide, organique et dépouillé d’artifice superflu. La relation entre les deux pilotes occupe une partie importante du film qui choisit de présenter leur rivalité et conflit dans une opposition nette, Prost stratège et méthodique d’un côté, Senna flamboyant et romantique de l’autre. Alain Prost regretta que le film dépeigne cette relation de manière unilatérale et n’aborde que son aspect antagoniste, sans aborder leur réconciliation après sa retraite. La manière dont est présentée cette rivalité s’intègre bien dans la narration classique du film qui ne cherche pas à aller dans l’ambiguïté, mais elle le prive d’un fort potentiel dramatique. On peut par exemple s’étonner de ne pas entendre le célèbre “I miss you Alain” de Senna, prononcé lors d’un entrainement qui eut lieu la veille de son accident tragique au Grand Prix de Saint-Marin (évènement qui occupe la dernière partie du film) et destiné à son rival qui commente la course pour la télévision française. La présence de Prost aux funérailles de Senna au Brésil, elle, bien intégrée au film, ne revêt pas alors tout le sens qu’elle aurait pu avoir.

© Universal Pictures

La seconde partie du documentaire fonctionne cependant beaucoup en annonçant des éléments du dénouement, le film insiste davantage sur les dangers et accidents de la Formule 1 et montre des interviews où Senna évoque sa foi et la vie après sa carrière. S’il correspond à la logique dramatique de la deuxième partie du film et à ses ambitions narratives classiques, ce choix est néanmoins assez attendu et rompt une nouvelle fois les velléités organiques du récit. Les choix narratifs très convenus du documentaire ne font pas honneur à l’esprit flamboyant de son personnage principal, qu’Asif Kapadia tente pourtant de mettre en valeur. En occultant les aspects les plus techniques de la Formule 1, les courses et les facettes plus complexes de la rivalité entre Prost et Senna, le film se concentre sur son personnage principal, dépeint comme un homme sensible, passionné par la course et guidé par sa foi, et insiste maladroitement sur les dimensions mystique et tragique de son parcours.

Les aspects limpides et bruts du film, tant dans sa narration que dans ses partis pris esthétiques, procurent à Senna une certaine efficacité, notamment dans l’émotion du drame qui conclut le film, mais jouent malheureusement contre lui dans ses envolés très emphatique et son manque d’aspérité. Plusieurs éléments importants dans la carrière de Senna et dans l’histoire du sport comme les avancées technologiques, la pression des écuries et entreprises sur les pilotes ou l’importance des rivalités pour les médias et la notoriété du sport sont abordés brièvement, mais le film ne s’attarde jamais en profondeur sur un de ces sujets. Asif Kapadia s’attarde alors sur le portrait de son Senna, ampoulé et attendu, non sans poncif et contradiction pour un pilote résolument plus singulier.   

Senna d’Asif Kapadia, 1h44, avec Ayrton Senna, Alain Prost, Frank Williams – Sorti au cinéma le 25 mai 2011

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