Revenons quelques années en arrière. Nous sommes en mai 2014 et je découvre pour la première fois un film de Cronenberg. Il s’agit de Maps to the Stars, son dernier né à l’époque. Je ne connaissais pas encore son style, ni les thématiques qu’il abordait. Je me souviens avoir apprécié cette satire hollywoodienne où les stars se vampirisent, sont hantées par leurs fantômes du passé. Oui, mêmes elles sont mortelles et ne peuvent rien faire pour empêcher cela. C’est cette idée parmi tant d’autres de corps mortel, voulant à tout prix s’adapter pour continuer à vivre qui m’a toujours fasciné chez Cronenberg. Huit ans séparent Maps to the Stars et Crimes of the Future.
Durant ces années, je mentirai si j’écrivais que je n’ai pas changé. Mon corps et mon esprit ont évolué pendant que je découvrais les trésors regorgeant sa filmographie. Si son cinéma me parle autant c’est bien parce que je m’identifie à certains de ses personnages. Je me reconnais en John Smith (Dead Zone) ce professeur timide, introverti, d’une immense générosité se transformant après un accident de voiture en messager funeste. J’éprouve un affection particulière pour Beverly et Elliot Mantle (Faux-semblants), les deux jumeaux monozygotes (issus d’un ovule identique) qui s’ils se ressemblent traits pour traits n’ont absolument pas la même psychologie, finissant irrémédiablement de les détruire. Dans A History of Violence, Tom Stall l’aimable restaurateur en apparence, cache en lui un lourd passé de tueur sans pitié. En évoquant ces figures, je ressens une grande tristesse envers elles, ce ne sont que des hommes victimes du destin, d’une tragédie bien plus forte qu’eux.
J’en viens alors à la raison de cette critique. En effet, plus jeune, il m’en venait à réfléchir à la mort, moi aussi un jour, je ne serais plus. Mon esprit s’éteindra, mon corps lui restera avant de disparaître peu à peu. En réalisant Crimes of the Future, David Cronenberg tente d’exorciser cette peur là. En regardant chacun de ses films, j’ai essayé également de le faire. A chaque fois qu’un personnage Cronenbergiens venait à décéder, une part de moi mourrait également.
Dès les cinq première minutes, il est évident après réflexion de savoir ou Cronenberg veut en venir.
En effet, en assassinant l’enfant, il annihile tout effroi devant la mort. Quand on est enfant on se pose une multitude de questions à ce sujet. C’est bien à ce moment que naît cette angoisse. En tuant l’enfant, cette peur n’a donc pas le temps de se manifester. Cependant, le corps lui reste présent au cours du long métrage, ce n’est plus qu’une carcasse vide témoin du passé. Cela va d’ailleurs de pair avec ces immenses squelettes de paquebots figés apparaissant à plusieurs reprises.
Par son esthétique extrêmement sombre, ses décors constitués de ruines, Crimes of the Future respire la mort. Tout est vide, les décors, les personnages. Saul Tenser, habillé entièrement de noir, est un vampire ne sortant que la nuit afin de s’abreuver de sang. Le sens est bien entendu métaphorique, il sort pour survivre. Oui, le dernier film de David Cronenberg n’a rien d’aimable, avec ses figures de morts vivants, de dieux et de déesses repoussant leurs limites de leur corps afin de vivre plus longtemps. «La chirurgie est le nouveau sexe» entend on de la bouche du personnage de Kristen Stewart. En effet, le plaisir, la jouissance passe par ce terrain là. Cependant ce n’est que de courte durée, exactement comme notre passage sur terre. Les individus parlent beaucoup, une manière de prolonger leur existence, de retarder l’échéance fatale. Finalement, il apparaît clairement qu’avec ce film, Cronenberg met en scène son propre enterrement. Saul Tenser, est déjà mort, malgré la chirurgie, son corps ne parvient plus à s’alimenter. Il a de plus en plus de mal à s’exprimer.
Les deux hommes ne font qu’un, Tenser, Cronenberg, l’artiste, le cinéaste. Et puis, survient ce dernier plan qui à lui seul révèle la véritable nature du long métrage. Agonisant car incapable de se nourrir correctement, Saul accepte de manger la barre énergétique constituée de plastique tendue par sa femme, Caprice. Et là, dans un splendide noir et blanc, Saul renaît. Nous n’avons plus sous les yeux un enterrement mais bien une résurrection. Cronenberg et Saul n’ont plus peur du futur, ni de la mort.
Admettre que l’on va mourir est rude au départ, puis on finit par s’habituer à cette menace pesante. Je n’ai jamais aimé mon corps, mon visage et pourtant j’ai appris à m’y faire. Tout comme Saul, j’ai compris que nous ne pouvons rien faire pour lutter contre le futur, alors acceptons le !
Les Crimes du futur de David Cronenberg, 1h48, avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart – Au cinéma le 25 mai 2022