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[CRITIQUE] La Salle des profs – Baisser La Main

Dans La Salle des profs, le dernier film tendu et captivant du réalisateur turco-allemand İlker Çatak, s’engage une trame de vols dans un établissement secondaire, plaçant ainsi la jeune professeure Carla Nowak (interprétée de manière saisissante par Leonie Benesch) dans une situation précaire et inattendue. Animée d’une volonté farouche de résoudre cette affaire en apparence mineure sans léser quiconque, Carla se voit confrontée à une complexité grandissante à mesure qu’elle tente de rétablir l’ordre. Initialement ni victime ni coupable, elle devient au fil des rebondissements une cible pour chaque acteur impliqué dans l’école. Ses élèves, prompts à la manipulation, se montrent de plus en plus rebelles. Les parents, enclins à des jugements hâtifs, remettent en question sa compétence. Mais peut-être le plus troublant réside-t-il dans le traitement que lui réservent ses collègues ; la salle des profs, éponyme du titre, se révèle être le théâtre de comportements hypocrites, de mensonges sournois et d’une hostilité sous-jacente.

Copyright Alamode Film / Judith Kaufmann

À la suite d’une enquête inconfortable sur un vol dans son école, Carla, soucieuse de déceler d’autres méfaits, décide délibérément de laisser ses effets personnels sans surveillance dans la salle des professeurs lorsqu’elle se rend en classe. Comme escompté, son argent disparaît à son retour, mais les enregistrements capturés par la caméra de son ordinateur portable offrent des preuves peu concluantes quant à l’identité du voleur. À partir de cet instant, Çatak tisse une intrigue complexe opérant sur plusieurs niveaux. Plutôt que de suivre les cadences familières d’un thriller d’investigation, il explore les dynamiques de pouvoir changeantes et leurs implications sociales. D’une part, La Salle des profs met en lumière l’inadéquation des règles et des mécanismes établis pour protéger enseignants et élèves. D’autre part, il décrit comment les individus ont tendance à interpréter ou à déformer ces mêmes règles selon leurs intérêts personnels et leurs inclinations politiques. Pour les élèves harcelant leurs pairs, le vol n’est qu’une opportunité d’exercer leur cruauté. Pour l’équipe rédactionnelle du journal de l’école, les événements fournissent un scandale lucratif à exploiter, dissimulant leurs méfaits sous le masque de concepts tels que la liberté et le droit à l’information. Quant à certains enseignants, il s’agit là d’une crise révélant leur racisme latent et leur soutien allié, une révélation particulièrement déconcertante dans une école au corps étudiant ethniquement diversifié.

Copyright Alamode Film / Judith Kaufmann

Les preuves vidéo que Carla présente au directeur suffisent pour une accusation sérieuse, mais peut-être pas pour prouver de manière irréfutable la culpabilité de l’accusé. Celui-ci n’est autre qu’un membre du personnel de l’école, dont le fils Oskar se trouve être l’un des élèves les plus brillants de la classe de Carla. Dans leur empressement à suivre les directives, les autres enseignants ne montrent aucune empathie envers Oskar. Toutefois, Carla s’efforce ardemment de maintenir un professionnalisme exemplaire dans toute cette affaire et s’emploie à regagner sa confiance. Pourtant, dans La Salle des profs, bien plus sinistre et sophistiqué qu’un simple drame à final heureux se déroulant en classe, les bonnes intentions de Carla entraînent des conséquences troublantes pour tous les protagonistes. C’est là que le long-métrage semble moins assuré : bien que louable, le professionnalisme de Carla peut paraître difficile à comprendre, de même que ses motivations et sa patience envers ceux qui l’ont maltraitée, voire agressée. De même, le comportement agressif et non coopératif de la mère d’Oskar face à de graves accusations, au lieu de chercher à se disculper, demeure énigmatique. Çatak réussit à créer un microcosme moralement ambigu et politiquement chargé, mais peine à expliquer pleinement le sentiment de droit de l’accusé ou le comportement défensif de son protagoniste. Cependant, dans une histoire aussi complexe, il n’existe pas de ligne de conduite unique, et la question de la cohérence des choix des personnages reste hautement subjective.

Presque tout le film se déroule dans les enceintes de l’école. Nous en apprenons peu sur la vie de Carla en dehors de son travail, et les personnages ne se dévoilent jamais en dehors de leurs rôles institutionnels. Ce choix est crucial pour maintenir une tension soutenue, gardant le récit vif et concentré même lorsque l’intrigue se complexifie. Appuyé par la partition musicale angoissante de Marvin Miller, La Salle des profs évolue en une expérience palpitante dans sa seconde moitié. Çatak parvient également à trouver des moyens créatifs de représenter la confusion croissante et la frustration de Carla, sans jamais quitter les couloirs de l’école. Une séquence cauchemardesque où tous sauf Carla portent le même chemisier, ainsi qu’un rare moment de solitude dans les toilettes des dames, sont particulièrement remarquables à cet égard. Il s’agit là d’un film maîtrisé et superbement contrôlé, opérant à la fois sur un plan psychologique et social, avec des implications sombres quant aux cadres institutionnels clés, et les individus qui les peuplent.

La Salle des profs de İlker Çatak, 1h39, avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak – 6 mars 2024