Premier film pour la réalisatrice Frances O’Connor, et premier rôle d’envergure au cinéma pour Emma Mackey, malgré tout, Emily marque une oeuvre qui n’a rien à se reprocher d’un quelconque amateurisme et profile plutôt un film assidu dans sa fabrication. Il s’agit ici d’aller dans le terrain du biopic, de traiter en sujet principal la romancière et poétesse Emily Brontë, et d’un oeil plus élargi de s’immiscer dans sa famille scrupuleusement littéraire. Sorti dans nos précieuses salles de cinéma cette semaine, il convient de s’attarder sur ce film d’époque garant de transmettre les conflits intérieurs et extérieurs qui ont amené l’écrivaine à se produire, notamment pour son livre « Les Hauts de Hurlevent », unique roman d’Emily.
Ce qui marque un bon point chez Emily, c’est qu’en tant de biopic le film ne retrace pas de façon manichéenne la vie de la romancière mais nous invite plutôt à nous plonger dans sa psyché, autrement dit de mettre en place un point de vue dans les affres de sa lutte personnelle vis à vis de son cadre de vie et de ses relations par rapport aux autres. De fait, tout le long du film nous avons une présence assez omnisciente au creux du personnage d’Emma Mackey qui donne une force non négligeable au film et une pertinence souhaitée. Ainsi par cette façon de faire, un rapprochement intime peut se faire avec cette impression de connaitre au mieux Emily. C’est en tout cas ce que le film tente de faire et à titre personnel, le mécanisme fonctionne.
En adressant un regard aguerri aux points forts du film, nous retrouvons une mise en scène se voulant intimiste avec cette pointe simpliste qui donne un caractère juste dans le déroulé du parcours de l’écrivaine. Mais c’est surtout le regard généreux d’Emma Mackey qui est aidant dans l’injonction de parcourir son esprit en proie à ses conflits. Généreux tout comme les thématiques abordées dans le chemin parcouru par Emily qui fait face à l’amour et à ses conséquences, l’adoption d’un courant de pensée marginal avec la domination morale religieuse vis à vis du cadre dans laquelle elle évolue, les vices d’une vie de dépravations et notamment de la drogue à l’opium, mais bien également de la confrontation entre vivre de son rêve et l’acceptation par la société, qui est véhiculée par le prisme du personnage de son père et parfois de sa sœur ainée. Cette générosité de thèmes qui constitue l’acheminement du récit vient apporter un grain important au film qui a une certaine maîtrise de ses propos de fond.
Au vu de cette invitation psychique que le film amène, il y a pourtant quelques obscurités dans les relations construites et qui évoluent à l’écran. De nombreuses fois nous assistons à des conflits familiaux, plus particulièrement entre la principale intéressée et sa sœur ainée Charlotte (également romancière et poétesse). Il y a effectivement des moments où les deux sont en désaccord et où la scène qui suit, ce conflit n’a aucun impact dans les interactions. Malgré le fait que leur conflit évolue au fur et à mesure dont même certains mots sont dits de nouveau lors de certaines scènes clés, il y a en quelque sorte une incohérence relationnelle qui nous échappe parfois. Cela vient donc nous embrouiller dans la véritable nature de la relation aux airs de « Je t’aime ; Moi non plus ». Néanmoins, le film puise dans ce côté relationnel de l’héroïne (pas le stupéfiant préféré d’un humoriste de seconde zone) pour converger son parcours jusqu’à la volonté de réaliser son rêve d’écrivaine. De plus pour continuer dans les points faibles du film, celui-ci écope d’un rythme assez inégal mais non préjudiciable, et qui languit le récit qui nous est présenté. En effet, cela se ressent aisément lors de la dernière heure car le récit avance timidement sans pour autant nous perdre. Il y a donc quelques disparités que le biopic récolte.
Pour finir, le film offre tout de même une résolution dans le parcours d’Emily qui s’adonne enfin à sa passion d’écrivaine. Mais avec cette conclusion, on peut que regretter ce manque d’égards donné par le film à mettre en exergue cet appel à la passion qui est finalement traité irrégulièrement. Malgré la générosité des thématiques évoquées auparavant, le film peut oublier ce besoin essentiel de montrer l’impossibilité d’assouvir son désir d’écriture pourtant nécessaire dans l’évolution d’Emily. Ce traitement relativement inégal des conflits adressés à ce personnage vient opacifier le côté passionnel qui est justement son conflit le plus personnel. Passant outre cela, le biopic de Frances O’Connor a au moins la vertu de s’intéresser réellement à son sujet, de nous lier intimement à son personnage compliqué, de nous construire un vrai cadre d’époque. Puis malgré ses disparités, je salue cette volonté de nous transporter au plus près d’un personnage qui a su marquer son influence malgré son unique roman qui signe l’oeuvre complète de sa vie auquel nous en voyons le développement.
Emily de Frances O’Connor, 2h10, avec Emma Mackey, Fionn Whitehead, Oliver Jackson-Cohen – Au cinéma le 15 mars 2023