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[CRITIQUE] L’Empire – le retour d’un roi

Dans le royaume du cinéma d’auteur français, de nombreux prétendants aspirent à s’emparer du trône. Jeunes, ambitieux, certains plus connus que d’autres du grand public. Cependant, tous demeurent dans l’ombre d’un roi. Non pas le plus riche de la planète, ni le plus puissant, mais assurément le plus libre. Ce roi, Bruno le Premier, tente de transformer son royaume en Empire. Le sacre aura-t-il lieu ? C’est ce que nous allons explorer ici.

L’Empire narre l’affrontement entre deux royaumes, celui des 0 (le mal) et des 1 (le bien), pour s’emparer de la terre en conquérant le Margat : Freddy six mois et antéchriste (également futur protagoniste de La Vie de Jésus, premier long-métrage de Bruno Dumont). Bien que l’originalité du scénario ne semble pas être aussi brillante qu’une comète, cet Empire n’est pas simplement une comédie loufoque parodiant Star Wars et autres monuments du space-opéra. En réalité, il s’agit de l’hommage de Dumont à sa manière de ce sous-genre de la science-fiction.

Théorie : L’Empire est le Star Wars que George Lucas aimerait voir mais que les fans radicaux de la saga détesteraient. Car L’Empire n’est pas une parodie mais un hommage à la dimension mystique de la saga hollywoodienne. Certes, l’humour est présent, porté comme d’habitude depuis P’tit Quinquin, sur le burlesque, les personnages décalés, le grinçant. Une fantaisie menée par le jeu hyper cabotin de Fabrice Luchini en ersatz de Palpatine ou par le retour des meilleurs personnages de gendarmes de l’histoire du cinéma depuis Le Gendarme de St-Tropez. Mais ici, la plaisanterie est subtile. Ce qui intéresse Dumont, c’est l’infiniment petit, l’humain (ou l’hybride humain-alien) perdu dans l’immensité des paysages nordistes ou des sublimes vaisseaux spatiaux. Car, dans L’Empire, point de grandes batailles épiques couvertes d’explosions, mais du silence, du sexe primitif, une histoire d’amour primitive, des sabres lasers sortant tout droit d’Action.

Contrairement à ce qu’affirment de nombreux critiques (qu’ils aient aimé ou détesté) sur L’Empire, il n’y a aucun mépris de la science-fiction dans ce film. Au contraire, Bruno Dumont l’utilise pour susciter des émotions autres que celles que l’on peut ressentir devant un blockbuster. Ainsi, il est difficile de ne pas être touché par cette séquence où le personnage joué par Anamaria Vartomolorei apprend à l’acteur amateur, Julien Manier, à manier un sabre laser (peut-être une métaphore d’une leçon d’acting entre professionnelle et débutant ?). Les images emblématiques du genre du space-opéra sont bien présentes : affrontements au sabre laser, batailles spatiales… Mais elles ne sont pas utilisées de manière conventionnelle. Ce qui est intéressant est ailleurs, dans le désir, dans l’impossibilité d’être simplement noir ou blanc, mais dans le gris.

© Tessalit Productions/Red Ballon Film/Ascent Film/Novak Prod/Rosa Filmes/Furyo Films

Et c’est là toute la beauté de ce qui sera probablement l’une des plus belles séquences de cinéma de 2024. Ici, Dumont se permet même de revisiter la relation entre Anakin Skywalker et Padmé de la prélogie de Lucas, en faisant une version plus sexuelle, plus animale d’une tragédie impossible. Johny (le “Dark Vador” de L’Empire) et Jane (Anamaria Vartomolorei) discutent de leurs attirances irrésistibles. Ils s’embrassent. Et Dumont nous prouve que le moment le plus fort d’un film de science-fiction n’est autre qu’un travelling circulaire à 360° autour de deux amants maudits s’embrassant dans un champ vide.

Mais alors, qu’est-ce que L’Empire au fond ? Disons que c’est une tragédie où les figures du bien et du mal disparaissent car les deux ne peuvent que coexister. C’est une histoire spatiale se déroulant dans le nord de la France. C’est un film poétique, lent, et pourtant épique. Et c’est à Bruno Dumont de nous prouver une fois de plus que oui, il pourrait être un empereur du 7e Art.

L’Empire de Bruno Dumont, 1h50, avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini – Au cinéma le 21 février 2024

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