Première séquence de Bâtiment 5 : les habitants d’un immeuble HLM dans une cité de la ville de Montvilliers (ville fictive inspirée de Montfermeil) descendent tant bien que mal un cercueil dans des escaliers vétustes alors que l’ascenseur est en panne. Vue comme une puissante scène de solidarité, on ne peut que constater que cette séquence n’est qu’une sombre prophétie quant au talent de Ladj Ly, qui semble déjà s’enterrer.
La difficulté d’un second long-métrage après une franche réussite (Les Misérables dans notre situation) est de pouvoir à la fois confirmer les promesses que le premier opus laissait entrevoir et souvent profiter d’une augmentation importante des moyens alloués au budget du film pour étendre le terrain de jeu du cinéaste.
Ladj Ly, après un premier long centré sur les violences policières et les relations complexes entre les habitants d’une cité et des forces de l’ordre, se dirige vers un récit plus “politique”. Dans le sens où la “vie de la cité” est au cœur de ce Bâtiment 5. Soit l’histoire des habitants d’un quartier, menacés d’être exclus en raison d’un programme ambitieux de rénovation urbaine. Victimes des magouilles du maire (Alexis Manenti) et de son adjoint (Steve Tientcheu), qui semblent (nous y reviendrons ultérieurement là-dessus) vouloir utiliser ce projet pour s’enrichir. Pour lutter contre ce projet, une jeune habitante décide de se lancer dans la course à la mairie à son tour.
Faire un film sur l’effondrement (littéral et spirituel) de ces grands-ensembles, autrefois républicains, aurait pu être explosif. Malheureusement, Ladj Ly, ne réussit qu’une seule chose : faire exploser son Bâtiment 5 en mille morceaux. Il est évident que le cinéaste réussit à profiter d’un budget bien plus élevé que précédemment (passant de 1,5 million d’euros pour Les Misérables à 8,5 millions pour Bâtiment 5) pour diversifier sa mise en scène. Exit l’unique caméra à l’épaule, vive les travellings, les longs plans de drone et les plans-séquences ! Sur ce point, on ne peut qu’apprécier la puissance de certaines images (telles que ce plan sur un panneau publicitaire prenant feu ou encore ce long mouvement de caméra aérien tournant autour du bâtiment en question pendant que les habitants forcés à l’exil jettent leurs affaires par leurs fenêtres). Mais à quoi bon ?
Car oui, malheureusement, c’est bien sur un plan narratif que l’échec est cuisant. La caractérisation des personnages est d’une faiblesse presque étrange : concernant les jeunes habitants de la cité, ils ne semblent exister que pour mettre en lumière les plans machiavéliques des hommes politiques et non par eux-mêmes. Les politiques, quant à eux, souffrent d’un criant manque de caractérisation : à aucun moment on ne comprend quels sont leurs objectifs ou leurs intérêts hormis commettre des abus de pouvoir. Bien que les pauvres Alexis Manenti et Steve Tientcheu tentent tant bien que mal de se mettre en valeur, le vide d’un scénario incapable de les rendre intéressants résonne. À ces moments-là, Bâtiment 5 atteint le statut de quasi nanard, notamment pendant une séquence hallucinante où le jeune maire prononce un monologue lunaire en dégustant son saucisson. Pour faire court, Ladj Ly tente de parler de politique mais est incapable de faire autre chose que de le faire de manière désincarnée.
Pire, Ladj Ly semble presque épouser les thèses du Rassemblement National avec la présence d’une famille de migrants syriens, présentés comme des outils de propagande traités avec générosité par une classe politique qui ne traite pas avec les mêmes égards les familles des quartiers populaires. Sans accuser le cinéaste d’être lepéniste, on peut néanmoins noter que cette intrigue du film s’avère être proche d’une forme de démagogie réactionnaire (à savoir les migrants sont forcément mieux traités que les français). Mais finalement, le traitement de cette famille s’avère être symptomatique des défauts dont souffre ce long-métrage.
En effet, nous avons eu la désagréable impression d’assister à une succession de séquences chocs, guidées par nécessité scénaristique, qui manquent pourtant de liant. Chaque décision clé des personnages est éludée : on se retrouve face à des choix arrivant comme un cheveu sur la soupe par pure logique de scénariste. On aurait presque l’impression que certaines séquences sont passées à la trappe au montage, faisant de Bâtiment 5 un film presque anti-cinématographique où tout est expliqué par des dialogues maladroits.
Impossible de recommander ce Bâtiment 5 qui s’avère être une immense déception après le très réussi Les Misérables. Pire, nous nous inquiétons déjà pour le reste de la carrière de Ladj Ly, qui doit prouver que le résultat de ce second long-métrage est une erreur de parcours et non déjà le signe de l’enterrement de son talent. On reste malgré tout conquis par quelques bonnes séquences par-ci, par-là, à commencer par une fin d’un déprimant nihilisme.