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[REVIOWZ] Megalomaniac – Le liquide amniotique du mal(e)

Récompensé par le Festival du film international Fantasia 2022, Megalomaniac remporte le prix du meilleur long métrage d’horreur. Le réalisateur liégois Karim Ouelhaj transpose ses origines belges à travers un récit sordide où réalité et fiction flirtent dans le but d’engendrer le mal(e). L’horreur s’ouvre directement sur une menace concrète qui a pendant longtemps tétanisé la Belgique et le Nord de la France : le dépeceur de Mons. Survenus en 1997, ces meurtres terrifiants impliquaient la décapitation de cinq jeunes femmes. De fait, Karim Ouelhaj s’accapare l’issue de l’enquête pour y imposer une piste lugubre où le rôle de meurtrier sanguinaire reviendrait aux héritiers du dépeceur de Mons.

COUPER LE CORDON ÉTRANGLEUR

Martha, fille du tueur en série, nait dans une scène introductrice où l’hémoglobine fuse généreusement, à l’image d’un schéma familial diabolique. La mère délivre son bambin, dans les cris et la douleur. Une douleur déchirante au sens propre comme au sens figuré, puisqu’aucune aide médicale ne survient au domicile familial – l’accouchement s’apparente à un rite satanique ou à un cauchemar, tant l’atmosphère est pestilentielle. Les parents n’inspirent aucune bienveillance et pour cause, les yeux injectés de sang de la mère semblent témoigner de la monstruosité établie au sein du foyer, à l’avenant de la figure paternelle, l’auteur de ces crimes terrifiants. Dépossédée d’humanité, cette scène introductrice dépeint explicitement un tableau noir et diabolique nous faisant comprendre que les deux héritiers évoluent dans un foyer pollué de monstruosité. À peine sortie du ventre de sa mère, le dépeceur place Martha entre les mains de Félix, le fils aîné. Le placement du nouveau né dans les bras du jeune frère vient signifier une transmission, la métaphore d’un testament voué à ranimer le monstre de Mons.

L’esthétique de la maison familiale atteste ce mal qui pullule en Félix et Martha. Le duo, devenu adulte, est grandement influencé par cette maison négligée – comme figée depuis la mort de leurs géniteurs. Hantés par les lieux, mais aussi par le sang qui coule dans leurs veines, Martha et Félix appréhendent différemment ce testament méphistophélique. Félix, personnage clef, réussit l’exploit d’être un personnage invisible mais actif, il capture presque naturellement des jeunes femmes et leur impose les pires sévices. Il s’exécute machinalement tel un mort-vivant, formé pour le meurtre et l’exécution ultra-violente : un Terminator 2.0.

© Les Films du Carré

À l’instar de la célèbre famille Sawyer de la franchise Massacre à la Tronçonneuse, la misère sociale se fait ressentir, l’épanouissement psychique de Martha semble bancal, délires schizophréniques, psychose et troubles alimentaires, la jeune femme semble néanmoins incarner le gagne-pain de la famille. Unique protagoniste féminin de cette sombre diégèse, la petite entreprise familiale repose sur les frêles épaules de Martha. Agent d’entretien dans une usine, Martha subit les viols à répétition de deux de ses collègues – les scènes sont humiliantes et dérangeantes. Tout compte fait, l’horreur n’apparaît pas uniquement par le dépeceur du Mons mais par toutes les figures masculines exerçant une autorité sur Martha : son père, son frère et ses collègues.

Finalement, le réalisateur argumente une fiction où la figure féminine, même au creux de la folie assassine, demeure au cœur d’un projet patriarcale purulent. Dans une optique classique du film d’horreur, le rape-revenge narrative surgit : Martha exécute ses collègues avec l’aide de Félix, dans une toile de fond qui ravive le rite satanique de la scène d’ouverture. Le sacrifice des violeurs active la naissance de l’enfant de Martha, fruit d’un de ces viols. La prolifération du monstrueux ici ne dépend que du sexe de la progéniture. Karim Oulhaj développe habilement la mise en lumière de ces femmes sous emprises dès la naissance. Des femmes prises en otage par leur sang, par leur rang et surtout par leur sexe : car la contagion de ce mal ne dépend que de leurs utérus.

En 2027, le délai de prescription de l’enquête sur le dépeceur de Mons sera atteint…

Megalomaniac de Karim Ouelhaj, 1h58, avec Eline Schumacher, Benjamin Ramon, Wim Willaert – Sorti le 22 juillet 2022 et disponible sur Shadowz