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Maria | Les derniers accords

Paris 1977. Un appartement cossu plongé dans une pénombre dorée. Une voix s’est tue. Maria Callas, diva parmi les divas, repose dans un silence trop lourd pour une femme qui avait fait de la musique son combat, sa délivrance et son fardeau. C’est par cette image presque religieuse que le réalisateur choisit d’ouvrir Maria. On ne pénètre pas dans ce film. On y glisse comme dans un rêve fiévreux où les fantômes du passé chuchotent des airs d’opéra.

Pablo Larraín ne filme pas une vie, il dissèque l’instant d’une chute. Maria ne chante plus. Ou du moins pas pour nous. Elle murmure. Elle se rappelle. La Callas, icône absolue, se disloque. Angelina Jolie, dans un silence éloquent, s’efface pour laisser apparaître une Callas fatiguée, hantée par son propre reflet. Chaque ride de son visage semble creusée par des ovations passées. Chaque regard fixe un point invisible quelque part entre la peur et le regret. Loin de la performance, Jolie frôle la dévotion. Il filme les silences avec l’intensité d’un orchestre à l’arrêt. L’image sature d’une absence palpable. Les rideaux lourds de l’appartement de Callas sont autant de murs que d’ailes. Des voiles s’entrouvrent pour révéler une diva qui ne croit plus à la scène.

Le piano est déplacé encore et encore non pas pour être joué mais comme un rituel absurde dicté par une Callas obsédée par l’ordre et le poids des habitudes. Ce déplacement du piano est un leitmotiv. Comme dans Spencer, où Kristen Stewart tournait en rond dans les couloirs du château, ici la répétition du geste illustre la perte de contrôle, l’enfermement dans une boucle invisible. Larraín affectionne ces moments où l’acte le plus banal devient une métaphore du drame intérieur. Callas déplace son piano comme Diana ajustait ses perles, comme Jackie Kennedy reconstituait des morceaux d’un rêve brisé. Chaque déplacement, chaque respiration semble dictée par une partition silencieuse qui ne joue que pour elle. Dans cette atmosphère suffocante surgissent des images comme des flashs échappés d’une pellicule en noir et blanc. Onassis (Haluk Bilginer), silhouette fuyante, plane sur la mémoire de Callas. Il est l’homme qui l’a possédée sans jamais la garder. L’aimant tout en l’abandonnant. Loin d’une figure d’amant passionné, Onassis apparaît ici comme une ombre, une silhouette distante dont la présence pèse plus lourd dans l’absence. Larraín le filme souvent de dos, flou, comme une cicatrice qui refuse de disparaître.

Ces fragments d’amour décomposés résonnent avec une actualité glaçante : combien de femmes sous les projecteurs se voient encore réduites à leur réputation, à des rôles secondaires dans leurs propres histoires ? Callas, avant de tomber sous la coupe d’Onassis, était déjà prisonnière de cette voix trop parfaite, celle que tout le monde voulait entendre mais qu’elle ne pouvait plus supporter d’écouter elle-même. Maria capte l’usure. Celle d’une femme qui, comme Jackie Kennedy ou Lady Diana avant elle, incarne cette tension permanente entre l’intime et le politique, le personnel et le public. Ce n’est pas une biographie. C’est un cri étouffé. Une mise en scène qui flirte avec le fantastique où chaque détail – des bijoux trop lourds aux ombres mouvantes – renforce l’idée d’une femme prisonnière d’un opéra sans fin.

La répétition visuelle des reflets – dans des miroirs fissurés, des vitres embuées – pousse le spectateur à s’interroger sur la frontière entre l’image de soi et celle que les autres projettent. Chaque plan est construit comme une fresque, saturé de texture et de lumière vacillante. La caméra caresse les murs comme si elle cherchait à révéler les échos du passé gravés dans la pierre. Chaque note de musique un couteau qui creuse un peu plus profond. L’appartement devient un tombeau où Maria Callas s’enferme, refusant le monde extérieur, refusant d’être regardée autrement que par elle-même. La relation avec ses domestiques, joués avec justesse par Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacher, est rythmée par des échanges d’une douceur trompeuse. Eux aussi la regardent s’effondrer mais n’osent jamais rompre ce fragile équilibre où chacun tient à sa place.

Comme dans Jackie, le regard du cinéaste s’attarde sur le poids des objets. Ici, des costumes, des meubles, des disques, tout semble figé dans une attente perpétuelle. Ces éléments de décor deviennent les témoins d’une vie qui s’efface. La lumière se fait plus froide, plus métallique à mesure que le film avance, laissant transparaître une Callas presque spectrale. Le piano ne sera jamais joué. La scène ne résonnera plus de sa voix. Le cinéaste signe avec Maria une fresque funèbre et sublime, une méditation sur la gloire et son érosion. Maria Callas ne voulait pas mourir sous les applaudissements. Elle voulait juste disparaître doucement comme une note qui s’évanouit. Le film s’achève dans cette suspension entre deux mondes, là où seule la musique réside encore. Un souffle. Rien de plus.