Rechercher

Aggro Dr1ft | Traque à la nouvelle image

« Je suis un réalisateur commercial, un patriote, et je me cache dans les arbres, ok ? » plaisantait-il. Harmony Korine a toujours été un sale gosse, s’est comporté en sale gosse et a filmé comme un sale gosse. Comme tous les gamins, il aime quand ça brille et quand ça fait vrooom, se vautrant sans gêne dans le mauvais goût et la provocation crasse. Une image sulfureuse qu’il porte depuis ses scénarios pour Larry Clark (le génial Kids en particulier) jusqu’à ses clips pour Rihanna et Gucci Mane. L’homme aime prendre la pose quitte à agacer, autant étudié que conspué.

Après tout, à sa sortie, Spring Breakers trônait à la deuxième place du top 2013 des Cahiers du cinéma. Il y avait de quoi se réjouir de cet objet rutilant qui voyaient James Franco et Selena Gomez s’encanailler dans une Floride sous néons shootée à la coke. Une fête sensorielle à l’esthétique devenue culte (contrairement à son intrigue timbre-poste) couplée à une rédemption par l’image de son réalisateur jadis tricard. En octobre 1999, il fut banni du Late Show de David Letterman pour avoir fouillé dans le sac à main de Meryl Streep en loge. Poussé très jeune sous les projecteurs, Korine traversait alors une période sombre de sa vie, addict au crack et à l’héroïne. Ses interviews de l’époque, quoique divertissantes, montraient un petit gars peinant à construire une pensée cohérente, mâchant ses mots dans un carambolage de phrases à peine intelligibles. La caricature parfaite du réalisateur new-yorkais torturé, écumant les soirées branchées façon Abel Ferrara. Certains y voyaient un rebelle, d’autres un paumé. En cela, son cinéma lui ressemble : une chaîne de fulgurances arty, à peine maintenue par une ligne narrative. Aggro Dr1ft ne déroge pas à la règle, et s’il est loin d’être le film de l’année, ni même du mois, voire de la semaine, il demeure une curiosité dont les audaces, tantôt vaines, tantôt réussies, valent le coup d’œil.

Copyright EDGLRD

BO, un assassin, projette de neutraliser un caïd démoniaque dans un Miami dystopique. Ce dernier arbore des ailes de démon et est accompagné d’une troupe de nains grotesques. La voix-off de BO pérore sur la vie, débite des idées mystiques et se pose en rempart contre les forces du mal. Une bouillie intellectuelle qui rappelle celle de son metteur en scène.

Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.


À la manière de Fincher avec The Killer, Korine tente avec BO un autoportrait flatteur : un maverick mélancolique, bon père de famille au milieu de la crasse, un mec droit dans un monde pourri. Un bonhomme, un vrai. C’est amusant de constater la haute estime qu’il se porte, jusque dans le nom cynique de sa compagnie, EDGLRD, qui surfe sans retenue sur sa réputation sulfureuse. Le ridicule ne tue pas, heureusement… Car il faut se les taper, ces scènes d’Aggro Dr1ft, où le méchant mime du sexe dans le vide, où le même imbécile danse avec des katanas au milieu de strip-teaseuses, et où Travis Scott réussit l’exploit d’être mauvais pendant un quart d’heure. Comment ne pas comprendre ses détracteurs ?

À trop vouloir provoquer, les films d’Harmony Korine finissent par fatiguer (souvenir doliprané de Trash Humpers). Il se laisse aller, submergé par son ego, trop amoureux de sa propre vision, piégé dans un plaisir onanique sans fin. En témoigne sa décision de tourner le film en infrarouge. Sur le papier, pourquoi pas, mais malgré sa courte durée, le procédé épuise la rétine passé la demi-heure. « Je n’ai jamais rien fait de similaire. J’essayais de ne pas faire de film. Je ne sais pas si ce sera un scandale, mais ce sera une déclaration en soi », assumait-il en interview. Et c’est grâce à cette profession de foi que, malgré tout, cette tête à claques mérite notre attention. Car, s’il se rêve en Kenneth Anger du pauvre, Korine laisse entrevoir, entre deux pitreries, cet idéal hybride qu’il convoite.

Copyright EDGLRD

Porté par une bande originale envoûtante, Aggro Dr1ft sème ici et là des images inédites. Attention, il ne s’agit pas de simples variations ou ressemblances, mais d’images véritablement jamais vues. Des vignettes uniques, inégalables par leur texture et leur psychédélisme, offrant des compositions brutales, neuves et singulières : un plan zénithal d’une voiture de course s’arrêtant sur un pont, où, lorsque le tueur en sort, la sensibilité de l’infrarouge change ; des fleurs et des crânes apparaissant sur la peau d’une danseuse et entre ses mèches de cheveux lors d’un twerk ; BO invoquant un démon géant façon Chernabog depuis son balcon ; et le visage de Travis Scott mutant à répétition en cyborg tandis qu’il parle de son quotidien. Entre deux errances, l’innovation va et vient dans Aggro Dr1ft. Il est regrettable que Korine ne prenne pas le cinéma assez au sérieux ou se croit plus malin que son propre médium. S’il était moins prisonnier de son costume de provocateur et construisait mieux ses films, sa traque de « la nouvelle image » serait plus épique et plus belle que dans ce fantasme inachevé. Frustrant.

| Prochainement au cinéma