Deadpool & Wolverine se présente comme une initiative audacieuse de Marvel, bien plus singulière que leurs récentes productions, visant à réhumaniser un univers cinématographique devenu, au fil du temps, friand de crises multiverselles et intergalactiques. En ressuscitant Wolverine, incarné de nouveau par Hugh Jackman, figure emblématique des X-Men marquée par ses tourments et dilemmes intérieurs, Disney semble désireux de renouer avec une relation plus intime et authentique avec le public. Cette démarche de réactivation des émotions passées, plutôt que de les générer ex nihilo, témoigne d’une prise de conscience des limites du genre lorsqu’il se perd dans des intrigues cosmiques, éloignant ainsi les héros des réalités humaines et quotidiennes.
Le nouveau Wolverine, dont le passé troublé contraste avec la fin tragique du personnage dans Logan de James Mangold, est marqué par une noirceur profonde, impliqué dans la disparition des X-Men de son univers. Cette incarnation offre une ancre émotionnelle souvent négligée au profit de confrontations à plus grande échelle, avec lesquelles nous, spectateurs, peinons à nous identifier. Ce héros porte désormais le poids d’un acte qu’il regrette amèrement. Son retour et ses interactions avec Deadpool dans un cadre plus personnel révèlent une volonté de renouer avec ce qui conférait force aux premiers récits de super-héros : des histoires axées sur des relations, des traumas, des valeurs et des dilemmes moraux, loin des débauches numériques qui servent de scènes d’action où chaque héros affronte un antagoniste avant de disparaître. Les deux rivaux, aux visions divergentes, sont habilement exploités à travers des dialogues incisifs, parfois cyniques, mais empreints d’une certaine nostalgie pour des longs-métrages imparfaits, mais possédant sans nul doute une âme unique et sincère : les films de super-héros de la 20th Century Fox.
Ce retour reflète également une époque où le multivers s’est imposé comme la mécanique narrative dominante, parfois artificielle, du MCU. Cette obsession pour les réalités parallèles et les enjeux cosmiques est souvent critiquée, à juste titre, pour avoir éloigné les récits de leur substance significative au profit d’effets spectaculaires, une bouillie numérique où la musique se tait, le silence se fait ressentir, juste pour que la salle de cinéma s’exulte de plaisir comme lors d’un spectacle de catch américain. Voir trois Spider-Man collaborer évoque le retour de John Cena en équipe avec une jeune génération de catcheurs, un spectacle impensable mais prenant tout son sens dans une forme de passage de flambeau – au sein d’un univers narratif, il faut savoir justifier et être cohérent, ce que le MCU n’a jamais su faire. Deadpool & Wolverine aborde ce contexte multiversel avec une ironie mordante, critiquant sa tendance à diluer l’impact narratif et à complexifier les enjeux plutôt qu’à les clarifier. En tentant de traiter des thèmes tels que la rédemption et le vivre-ensemble tout en étant englué dans les complexités du multivers, le film met en lumière une crise d’identité persistante pour le genre super-héroïque, héritée des années 2000, qui, malgré une réception parfois mitigée, possédait un charme indéniable. Le film regorge de références à ces œuvres antérieures et son intention de redonner vie à des personnages souvent négligés, abandonnés ou mal perçus est empreinte d’un respect sincère pour les racines du genre.
Les premières adaptations de X-Men, Daredevil ou Catwoman, malgré les critiques dont elles ont fait l’objet, se distinguent par leur audace et leur exploration approfondie des personnages. Deadpool & Wolverine cherche à capturer cet esprit en offrant une continuité avec un passé où les héros étaient enracinés dans des réalités plus tangibles et accessibles, où sauver un voisin semblait plus significatif que d’affronter un extraterrestre muni d’un gant puissant. Il n’est pas surprenant de voir Ryan Reynolds, une des plus grandes victimes de la réception et de la qualité de cette période super-héroïque, y trouver un certain charme à sauver et tenter, sûrement en vain, de le redynamiser. Insulté pour la catastrophe Blade: Trinity, moqué pour son premier essai de Deadpool dans X-Men Origins: Wolverine et incendié pour le navet Green Lantern, l’acteur a connu certainement le pire, mais également une époque où les films de super-héros, conspués pour leur audace souvent douteuse mais existante, tentaient quelque chose de nouveau. Car depuis l’avènement du genre et l’émancipation des univers connectés tels que le MCU et le DCEU, tous les produits du genre se sont vus forcés à une conformité. Chez Marvel, que ce soit Jean-Michel Yes Man ou Chloé Zhao, cela doit ressembler à ce que Kevin Feige veut. Chez DC, même en l’absence de Zack Snyder, l’esprit de ses films perdure. Dans les rares cas où ce n’est pas le cas, il semble nécessaire de ressembler à la concurrence (cf. Blue Beetle, Suicide Squad) ou d’appeler James Gunn. Gunn, peut-être le seul auteur à avoir mis plus de lui-même que de Feige dans sa trilogie Les Gardiens de la Galaxie, a réalisé The Suicide Squad et chapeauter le nouvel univers DC. Shawn Levy tente de suivre cette lignée, en se concentrant sur des personnages marginaux et attachants, des anti-héros dont on se moque mais qui finissent par nous séduire.
Deadpool & Wolverine aspire à raviver un sentiment d’authenticité en utilisant une méthode peut-être lâche mais néanmoins efficace : l’intégration d’éléments nostalgiques. Heureusement, son message sincère sur le vivre-ensemble se déploie en toile de fond, rendant ainsi cette consommation futile véritablement pertinente. Dans une scène particulièrement émouvante, les deux personnages éponymes se retrouvent en désaccord profond sur leurs valeurs, enfermés dans un van, leur dispute se prolongeant jusqu’au matin. La caméra effectue alors un travelling jusqu’au coffre, où un autocollant se révèle en évidence. L’objectif s’attarde sur cet autocollant pendant une quinzaine de secondes, révélant le mot « coexist » écrit avec une mosaïque de symboles représentant diverses philosophies et croyances : du symbole de la paix à l’Étoile de David, en passant par l’étoile et le croissant. Au sein d’un contexte politique marqué par la division et les conflits, notamment le conflit israélo-palestinien, l’insertion d’un tel symbole n’est pas anecdotique. Cette prise de position, bien que potentiellement naïve, mérite d’être saluée pour sa tentative de représenter et de métaphoriser les tensions actuelles à travers deux figures populaires du grand écran.
Il n’est pas surprenant que des films comme The Batman et Joker, qui explorent des récits plus psychologiques et se déroulent dans des environnements urbains plus tangibles, rencontrent un succès croissant. Bien qu’ils se déroulent dans des villes fictives, ces œuvres captent un désir de profondeur et un retour à une réalité plus concrète. La question fondamentale posée par ces films est celle du danger : comment ressentir véritablement la menace si elle nous reste étrangère et lointaine ? Deadpool & Wolverine pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère où le super-héroïsme retrouve son essence en conciliant grandeur et humanité, complexité et simplicité, espérons-le.
Par Louan Nivesse, aidé par JACK et Vincent Pelisse.