Un espace clos, des règles strictes, une lutte acharnée. Sur le tatami, chaque mouvement compte, chaque décision est cruciale, et chaque erreur peut coûter cher. Tatami explore cet espace confiné non seulement comme un lieu de compétition sportive, mais aussi comme une métaphore puissante des contraintes imposées aux femmes en Iran. Réalisé par Zar Amir-Ebrahimi et Guy Nattiv, ce long-métrage, avec son esthétique monochrome et son rythme haletant, nous entraîne dans un tourbillon où le sport devient un terrain miné de décisions politiques et personnelles.
Dès les premières images, le spectateur est plongé au cœur de l’action : une arène de judo où chaque combat se transforme en un théâtre d’ombres et de lumières. Le choix du noir et blanc n’est pas anodin. Il accentue la tension palpable de chaque mouvement et reflète également les zones grises de la morale et de la survie. La couleur aurait adouci les contrastes, mais ici, tout est question de choix binaires : résister ou céder, combattre ou fuir. C’est une représentation brute et sans détour de la réalité à laquelle font face les femmes en Iran : une vie où chaque action est scrutée, où chaque geste est potentiellement une menace pour l’ordre établi. Leila (interprétée par Arienne Mandi) se retrouve sur le tatami non seulement pour défendre ses chances dans une compétition sportive, mais aussi pour affirmer son droit à exister en tant qu’individu libre de ses choix. Cette double lutte rend le récit si puissant : le tatami devient un champ de bataille où il se joue bien plus qu’une victoire sportive. La pression exercée sur Leila par le régime iranien pour qu’elle se retire du tournoi ou perde volontairement est la même qui pèse sur toutes les femmes qui osent défier les conventions. Elles sont constamment sous surveillance, à la merci des caprices d’un pouvoir patriarcal omniprésent.
L’une de ses grandes réussites réside dans sa capacité à transformer le sport en objet de thriller politique. La caméra, agile et nerveuse, suit les combattants avec une intensité qui rappelle le regard scrutateur d’un régime autoritaire. Les plans serrés sur les visages de Leila et Maryam (jouée par Zar Amir-Ebrahimi) captent chaque goutte de sueur, chaque tressaillement de peur ou de détermination, rendant palpable l’atmosphère suffocante de l’arène. Le format 4/3 de l’image et l’utilisation de l’ombre amplifient ce sentiment d’oppression. On ressent physiquement l’enfermement des personnages, piégés dans un espace restreint, tout comme ils le sont dans leur propre vie.
Cet espace clos, cet univers du judo où les règles sont précises et codifiées, devient l’allégorie parfaite de la société iranienne : un lieu où chaque écart est sanctionné, où la moindre désobéissance est punie de manière exemplaire. Maryam, l’entraîneuse de Leila, est un personnage fascinant, à la fois par son histoire personnelle et par ce qu’elle représente. Ancienne athlète elle-même, Maryam est une femme marquée par ses choix passés, qui l’ont amenée à sacrifier ses rêves pour se conformer aux attentes de la société. Elle voit en Leila une version plus jeune et plus audacieuse d’elle-même, une femme qui refuse de se soumettre. Cette dualité rend leur relation à la fois tendre et conflictuelle, chaque geste et chaque regard étant chargé de significations non dites. Les cinéastes montrent à quel point le passé de Maryam et ses regrets influencent ses décisions présentes, un reflet poignant de ce que vivent de nombreuses femmes en Iran, tiraillées entre la soumission et le désir de liberté. Les flashbacks de Leila avec son mari Nader (Ash Goldeh) ajoutent une dimension humaine à son combat. Ils rappellent au spectateur que derrière la guerrière sur le tatami, il y a une femme avec une famille, des rêves et des peurs. Ces scènes, presque oniriques, contrastent avec la dure réalité du présent, mais elles soulignent aussi ce que Leila risque de perdre si elle continue de défier le régime.
Tatami n’est pas seulement une œuvre sur le sport ou la politique ; il est une allégorie de la résistance. Le sport, avec ses règles strictes et ses combats intenses, devient le cadre parfait pour illustrer la lutte contre l’oppression. Chaque match de judo est une métaphore des affrontements quotidiens auxquels les femmes sont confrontées en Iran : des batailles pour l’égalité, pour la dignité, pour le simple droit d’exister à leur manière.
Les choix stylistiques renforcent cette métaphore. Les scènes de judo ne sont pas seulement filmées pour illustrer l’action, mais pour capter l’essence même du combat intérieur de Leila. Les ralentis, les gros plans sur les muscles tendus, les souffles courts et haletants – tout cela contribue à créer une tension presque insoutenable. Toutefois, il n’échappe pas toujours aux écueils de son propre genre. À certains moments, il se montre trop explicite dans son message. Lorsque Leila retire son voile lors d’un match intense, la scène est chargée de symbolisme, mais elle frôle le cliché. C’est comme si le film ne faisait pas confiance à son public pour comprendre l’ampleur de ce geste sans une mise en scène aussi dramatique.
Il y a là une forme de surenchère qui, bien que compréhensible, aurait pu être évitée pour préserver une certaine subtilité – qui n’existe pas vraiment, d’ailleurs, en son sein. L’approche directe, voire parfois brutale, est une manière de rendre compte de la rudesse de la réalité iranienne. Il n’y a pas de demi-mesure dans la vie de ces femmes, et le long-métrage reflète cette vérité avec une franchise désarmante.
Chaque combat, chaque mouvement, chaque choix devient une métaphore de la lutte pour la dignité humaine. Tatami transcende son propre cadre pour poser une question essentielle : jusqu’où iriez-vous pour défendre votre liberté ? Et à travers cette question, il résonne bien au-delà des frontières de l’Iran, touchant à l’universel, à ce qui fait de nous des êtres humains en quête perpétuelle de justice et de liberté.
Tatami de Zar Amir Ebrahimi & Guy Nattiv, 1h43, avec Arienne Mandi, Zar Amir Ebrahimi, Ash Goldeh – Au cinéma le 4 septembre 2024