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[CRITIQUE] Le chat à neuf queues – Enquête labyrinthique sur les débuts d’un Dario Argento inspiré

Le cinéaste éminent et marginalisé parmi les cercles cinéphiles, le virtuose de l’horreur, Dario Argento, poursuit son chemin malgré l’indifférence dédaigneuse des critiques et l’uniformité aseptisée de l’industrie cinématographique. Tâtant de l’expérimentation dans chacune de ses œuvres, pour le meilleur et parfois le pire, revenons sur les éléments qui ont élevé Argento au rang des maîtres…

Au sein d’un institut spécialisé en recherche génétique, le gardien est assassiné. Carlo Giordani, journaliste, s’engage dans une enquête, épaulé par un aveugle, pour découvrir que des chercheurs de l’institut exploitaient le mystérieux facteur X.Y.Y., censé être présent chez les individus prédisposés à la violence et à la criminalité. Une série de meurtres se déclenche alors, obstruant toute avancée dans l’enquête.

Le Chat à Neuf Queues, second volet de la « trilogie des animaux », succédant à L’Oiseau aux Plumes de Cristal et précédant Quatre Mouches de Velours Gris, s’inscrit dans une phase où Dario Argento est encore partiellement enchevêtré dans les conventions traditionnelles du thriller italien. Toutefois, ce film marque une transition vers un cinéaste qui, avec Quatre Mouches de Velours Gris et surtout le chef-d’œuvre Les Frissons de l’Angoisse, démontre sa capacité à instaurer une nouvelle forme de poésie, indépendante tout en honorant la tradition. Cette métamorphose se manifeste principalement dans les scènes précédant les crimes à venir, où le suspense atteint son paroxysme par rapport aux réalisations précédentes, et où le tournage et le montage échappent aux stéréotypes techniques du giallo, privilégiant une caméra subjective, une minutie dans les détails et l’exploration de solutions et plans novateurs.

Le rythme du film est haletant, une enquête qui avance puis s’immobilise, seulement pour être ravivée par un nouvel indice, une nouvelle piste à explorer. Cette cadence effrénée, ponctuée par les séquences de meurtres, est intensifiée par la terreur que ressentent les protagonistes, sachant qu’ils sont la cible du tueur. Les rebondissements, les tromperies et les ambiguïtés maintiennent l’enquête dans un état de tension permanente. Cependant, cette profusion d’éléments est dosée avec une habileté maniaque, offrant une expérience cinématographique d’une précision méticuleuse.

Le long-métrage suscite la peur tout en captivant et intrigant le spectateur, le plongeant dans un récit dont il ne pourrait détourner le regard avant son dénouement. Il ne se contente pas d’offrir des touches d’ironie et de comédie, souvent adroitement entrelacées à l’angoisse, mais aborde également des sujets moins badins, tels que les sentiments des personnes homosexuelles, effleurés à plusieurs reprises. Il convient également de souligner la finesse avec laquelle Argento façonne ses personnages. Carlo Giordani se distingue par son audace, son irrévérence et son efficacité, tout en conservant une humanité chaleureuse et un sens de l’humour subtil. Franco Arnò, ancien reporter devenu non-voyant à la suite d’un choc, se révèle être d’une intelligence remarquable, habile et, comme le démontre le film, doté d’un tempérament vif. Pourtant, il demeure attentionné, affable et toujours prêt à partager des moments avec sa nièce, laissant planer certaines insinuations.

Plus enclin au cinéma d’Alfred Hitchcock qu’à la direction qui le caractérisera ultérieurement (comme dans Suspiria ou Phenomena), Le Chat à Neuf Queues, malgré son atmosphère baroque indéniable, adopte une esthétique quelque peu plus traditionnelle, plus classique et plus épurée que L’Oiseau aux Plumes de Cristal. Il s’agit d’un film « à l’américaine », conçu pour plaire au plus grand nombre, avec une écriture plus lisse, peut-être même un peu trop conventionnelle pour son créateur. Néanmoins, l’innovation formelle propre au cinéma d’Argento, qui parvient à instaurer une ambiance à la fois étrange et troublante, est omniprésente dans cette œuvre. On retrouve avec satisfaction sa stylisation visuelle remarquable, riche en symbolisme, à travers les découpages violents et les inserts de détails en gros plan.

Le Chat à Neuf Queues atteste ainsi de la maîtrise précoce d’Argento dans le langage cinématographique, annonçant l’avènement d’un des plus grands cinéastes italiens de sa génération. Cette œuvre constitue une introduction remarquable à l’univers filmique d’un artiste en devenir.

Le chat à neuf queues de Dario Argento, 1h52, avec James Franciscus, Karl Malden, Catherine Spaak – Ressorti au cinéma le 12 juillet 2023