Dark Waters et Astrid’s Saints, les deux longs-métrages du réalisateur italien Mariano Baino, sont mis à l’honneur pour la trentième édition de l’Étrange Festival. Trente ans, c’est aussi le temps qui sépare ces deux films d’épouvante, marqués par des influences lovecraftiennes.
Dark Waters, 1994
Son premier film est une étrange coproduction : italienne, britannique, mais surtout russo-ukrainienne. Baino situe l’action sur les terres de l’Union soviétique récemment disparue. Elizabeth, l’héroïne, débarque dans un couvent isolé, jadis financé par son père décédé. Face au comportement inquiétant des nonnes, elle décide d’en percer les mystères.
Sorti en 1994, Dark Waters puise dans de nombreuses influences : on pense naturellement aux gialli, à la folk-horror à la Wicker Man, ainsi qu’à l’œuvre de H.P. Lovecraft. Ces références font de ce premier long-métrage un objet singulier. Le budget restreint se fait parfois sentir, mais Baino compense avec une atmosphère sonore dense et des décors impressionnants. À la manière de Lovecraft, il fait ressentir le mal latent entre les murs du couvent, jouant avant tout sur la suggestion. L’angoisse grandit alors que le danger reste insaisissable, et le spectateur se méfie aussi bien des résidents que de l’île elle-même.
Si l’intrigue reste classique, Baino épure son récit pour donner toute la place à l’atmosphère du lieu et à sa musique. Le film évolue sans cesse, passant d’une intrigue de nonnes à des résonances Suspiria, avec cette île fermée et régie par des figures d’autorité. On songe également au Nom de la rose dès que l’enquête dans le couvent démarre. Ces références se mêlent et permettent au mal de suinter progressivement des murs, alors que le passé d’Elizabeth refait surface. Quelques scènes viennent trancher avec le rythme du récit, comme celle où Elizabeth, attaquée, ouvre une fenêtre laissant entrer la pluie. Ce son, récurrent mais étouffé par les épais murs, devient soudain visible, menaçant l’héroïne. Ne sachant jamais d’où vient le mal, cette technique crée un climat de panique et maintient un doute constant sur le dénouement de l’enquête.
Dark Waters pourrait, de prime abord, ressembler à une série B fauchée des années 90. Pourtant, grâce à son ingéniosité narrative et sa mise en scène, Baino en fait un film atemporel. Les références multiples brouillent nos repères : ni le temps ni le lieu ne semblent définis, amplifiés par les paysages soviétiques morts qui servent de décor.
C’est un film intelligent, beau et unique, une petite merveille de Baino, dont la suite de carrière s’avérera des plus atypiques.
Astrid’s Saints, 2024
Il aura fallu trente ans à Baino pour livrer son deuxième film, sur lequel il a travaillé durant douze ans. Entre-temps, il a réalisé des courts-métrages, écrit des scénarios et exploré d’autres formes d’art. Si l’on retrouve une continuité avec Dark Waters, notamment dans le travail sonore, Astrid’s Saints s’en éloigne pourtant par un récit bien plus épuré, qui constitue d’ailleurs son principal défaut. Le film suit Astrid, une femme endeuillée après la perte de son enfant, enfermée dans un huis clos étouffant qui se déroule sur quelques jours. Pour illustrer le deuil et la folie, le cinéaste recourt à la répétition des actions et des dialogues. Mais cette répétition excessive rend rapidement le film pénible à suivre. Les cris et lamentations d’Astrid deviennent lassants, d’autant plus que la mise en scène semble aussi pauvre que le scénario.
On peut se demander si Baino n’a pas découvert D.W. Griffith et ses montages alternés durant ces trente années d’absence, car c’est le seul procédé utilisé pour créer de la tension. Cette pauvreté de la mise en scène est d’autant plus regrettable que Dark Waters témoignait d’une grande richesse formelle. Ici, Baino se contente de longs plans fixes et de montages alternés indigestes. Heureusement, tout n’est pas à jeter, notamment grâce au travail sonore remarquable. Chaque objet produit un bruit distinct, et la redondance des scènes crée une sensation d’enfermement oppressante. Le spectateur s’habitue à une routine sonore, et chaque perturbation de cette routine devient un moment fort du récit. Mais ces quelques éclats de tension sont noyés sous des plans trop longs et une répétition qui, bien que reflétant la folie d’Astrid, finit par épuiser le spectateur. Le film aurait gagné à être plus court.
Astrid’s Saints peine à tenir la distance avec une intrigue prévisible, dont l’essence pourrait être résumée en une quarantaine de minutes. Malgré la performance impressionnante de Coralina Cataldi-Tassoni, également productrice et scénariste, ce huis clos fait du surplace. Le retour du metteur en scène est décevant, mais on ne peut qu’espérer le succès futur ce celui-ci qui a déjà prouvé par le passé sa maîtrise du médium cinématographique.
Dark Waters de Mariano Baino, 1h34, avec Louis Salter, Venera Simmons, Mariya Kapnist – Sorti en 1994
Astrid’s Saints de Mariano Baino, 1h46, avec Coralina Cataldi-Tassoni, Rossella Rapisarda, Pasquale Moschella – Prochainement