Au cœur de Borderlands, dirigé par l’horrible Eli Roth, Lilith, interprétée par Cate Blanchett, tombe par un étrange coup du sort sur une clé lui permettant d’ouvrir l’Arche, le Saint Graal de nos héros. Isolés dans une sorte de cave, ils font face à une horde de « sadiques » déterminés non seulement à capturer Tiny Tina (Ariana Greenblatt), la fille d’Atlas (Édgar Ramírez), le terrible antagoniste, mais surtout à ouvrir l’Arche en son nom. Alors qu’ils s’apprêtent à fuir, le temps semble se figer, focalisant toute l’attention sur Claptrap, un petit robot serviteur à la voix métallique incarnée par Jack Black. Dans une scène à la fois absurde et interminable, Claptrap se met à déféquer des balles en quantité si démesurée que le plan semble s’étirer à l’infini. S’ensuivent les répliques acerbes de tous les personnages du clan, comme pour marquer cet instant hors du temps, avant que l’action ne reprenne son cours et que nos héros ne passent à la scène suivante.
Cette rupture au beau milieu de l’action n’est guère isolée; chaque scène du film semble en effet subir le même sort, comme si le cinéaste prenait plaisir à interrompre le fil narratif pour glisser une plaisanterie triviale, telle une blague de mauvais goût destinée à un enfant, avant de reprendre l’histoire pour répéter l’exercice quelques instants plus tard. D’autant plus que l’intrigue de Borderlands, d’une simplicité déconcertante – une quête classique de MacGuffin –, est jalonnée de raccourcis scénaristiques qui semblent précipiter l’action à toute vitesse, au détriment de la cohérence narrative. Les personnages sont constamment réécrits pour servir la scène en cours, plutôt que de contribuer à l’ensemble du récit. Contrairement aux films de bandes à la James Gunn, où les rivalités et les alliances sont patiemment développées et demeurent cohérentes tout au long de l’œuvre, ici, les relations fluctuent au gré des besoins immédiats de chaque scène. Lilith, par exemple, abandonne sa mission en un claquement de doigts, et ses sentiments envers les autres personnages changent d’une scène à l’autre, sans logique ni continuité. Ce manque de constance s’étend à l’ensemble des protagonistes, donnant l’impression d’une histoire morcelée où chaque instant est sacrifié sur l’autel de la facilité.
Tout se déroule à une telle vitesse que les personnages sont à peine esquissés. Roland, incarné par Kevin Hart, sauve Tiny Tina dans les deux premières minutes du film, s’engage dans une fusillade contre six figurants, rencontre Krieg de manière expéditive, puis nous passons déjà à la présentation de Lilith sur une autre planète. Roland ne réapparaît que 25 minutes plus tard, comme si le spectateur le connaissait déjà depuis trois films. Quelle est son histoire ? Quel est son but ? Nous n’en saurons rien, et cela semble parfaitement convenir à une équipe qui ne paraît guère préoccupée par l’idée de conférer un semblant de profondeur au film. Le seul qui ait peut-être tenté de sauver le projet est Craig Mazin, auteur reconnu pour The Last Of Us et Tchernobyl. Initialement chargé de l’écriture, il a préféré se retirer après avoir vu son travail mutilé par Eli Roth, demandant même à ne plus figurer au générique.
Borderlands tout entier est empreint d’incohérence, de facilité, et d’une paresse évidente. Le respect, tant pour les personnages que pour le public, semble désespérément absent. Bien que des efforts aient été faits pour créer des décors réels, le directeur de la photographie, Rogier Stoffers, sous l’influence du goût douteux de Roth, se voit contraint de pousser l’éclairage et les couleurs à un tel extrême qu’un étrange phénomène se produit : on a l’impression que chaque acteur est incrusté sur fond vert, même lorsqu’ils touchent physiquement les décors. Alors, lorsqu’ils tournent réellement en studio sur fond bleu, imaginez le désastre. Le résultat est aussi peu flatteur que la perruque rouge de Cate Blanchett, qui semble elle aussi avoir été ajoutée en post-production. Les seuls décors qui paraissent tangibles sont des couloirs de vaisseaux tout droit sortis de Star Wars ou, pire encore, une cave remplie de caissons en bois, servant de cadre à une scène d’action majeure. Ce décor, digne d’un vieux film Expendables 4, devient le terrain de jeu d’Eli Roth, qui découpe frénétiquement les plans pour insuffler un rythme stroboscopique à son montage. Plongées dans la pénombre, ces séquences nous privent des chorégraphies, qui, pour une fois, semblaient bénéficier d’un véritable soin dans leur exécution. Rien n’est visible dans cette scène cruciale où les héros doivent unir leurs forces pour fuir, anéantissant toute chance de voir naître une quelconque alchimie entre eux.
Au moins, lorsqu’il rythme ses scènes d’action, le cinéaste parvient à instaurer une certaine ambiance de jeu vidéo. À chaque fois qu’une horde d’ennemis est éliminée dans une pièce, nos héros échangent deux ou trois punchlines avant de passer à la suivante, où une nouvelle vague surgit de tous les recoins possibles. Cela fait écho aux ruptures de rythme évoquées plus tôt. Même dans ces scènes d’action, qui devraient être l’incarnation même du dynamisme, Roth parvient à les rendre creuses et saccadées. Le résultat de cette énième adaptation vidéoludique ratée est aussi éphémère que l’intérêt de Jamie Lee Curtis à y participer, ou que l’apparition fugace de Haley Bennett. C’est une vanité cynique incarnée, un produit d’Hollywood créé non pas pour l’art ou le divertissement, mais simplement pour faire de l’argent en capitalisant sur une licence, comme tant d’autres projets récents, de Indiana Jones 5 à The Flash, en passant par Twisters, ou les prochaines suites comme Beetlejuice Beetlejuice et Mufasa : Le Roi lion. C’est une simple aire de jeu pour des acteurs désœuvrés et pour Eli Roth, qui s’ennuyait durant la pandémie de COVID-19 (ce qui est, en fait, véridique). L’industrie cinématographique serait sans doute mieux sans ces produits de licence insipides. Faisons tomber l’empire, le cinéma n’en sortira que grandi.
Borderlands de Eli Roth, 1h40, avec Cate Blanchett, Kevin Hart, Jack Black – Au cinéma le 7 août 2024