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[CRITIQUE] Annette – Carax, l’opéra rock

Leos Carax, ce rebelle subtil du septième art français, émerge à nouveau avec une fantaisie débridée et envoûtante, une tragédie musicale presque entièrement chantée, forgée en collaboration avec Ron et Russell Mael de Sparks. Ce tandem, que l’on pensait cantonné aux clips YouTube, ressuscite avec brio grâce à ce film, ainsi qu’à un documentaire d’Edgar Wright, intitulé The Sparks Brothers. Dans une séquence inaugurale captivante, nous les voyons, accompagnés de Carax, Marion Cotillard, Adam Driver et tout le casting, entonner des airs en sortant du studio d’enregistrement pour arpenter les rues de Los Angeles, prêts à initier une étrange entreprise.

Ce film évoque le fanatisme du marionnettiste Stromboli dans Pinocchio, l’autodépréciation de Jack dans A Star Is Born, et le désespoir de la relation père-fille dans Les Yeux sans visage de Georges Franju, auquel Carax a déjà fait référence dans son précédent opus, Holy Motors. Il évoque également la tristesse perçante de Phantom of the Paradise de Brian de Palma. Adam Driver incarne Henry, un comédien railleur et agressif de Los Angeles, dont la réputation controversée et la carrière déclinante le mènent dans les coulisses, tel un Rocky Balboa arborant une robe de boxeur. Il captive son public avec ses mots acerbes et ses interludes chantés, accompagné d’une chorale, allant jusqu’à simuler des attaques au pistolet factice, évoquant malheureusement des tragédies comme celle du Bataclan, afin de choquer l’assistance. Cependant, le numéro d’Henry n’a rien de conventionnellement comique.

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Henry entretient une relation amoureuse avec son opposée, Ann, une chanteuse d’opéra charismatique et d’une beauté exquise, incarnée par Marion Cotillard. Elle évolue dans des décors colossaux et quasi-expressionnistes, évoquant la haute culture. Sa réputation, jalousement protégée par le chef d’orchestre de l’opéra (interprété par Simon Helberg), est également courtisée par ce dernier, secrètement amoureux d’elle. Après une représentation, le petit ami d’Ann, un voyou, l’emmène dans leur somptueuse demeure des collines pour y partager des moments intimes. La grossesse d’Ann est néanmoins troublée par des rumeurs (ou des rêves) laissant entrevoir la chute imminente d’Henry dans le sillage du mouvement #MeToo. La tragédie frappe bientôt à leur porte, laissant leur fille, Annette, avec une aura troublante, rappelant une marionnette en bois douée de la voix adulte de sa mère.

Annette est un spectacle à la fois direct et délirant, oscillant sur le fil de sa propre désillusion, exigeant que nous partagions sa douleur et son plaisir avec gravité. Si ce film ne déploie pas toute la complexité imaginative de Holy Motors, il reste l’œuvre la plus accessible de Carax. Adam Driver incarne avec magnificence cette figure au visage équin, dont la noblesse se dissipe peu à peu pour laisser place à la violence et à la dépression, tandis qu’il vieillit de plusieurs décennies. Des moments extraordinaires, tels que le duo enivrant « We Love Each Other So Much » entre Cotillard et Driver, ponctuent ce récit, offrant des séquences d’une beauté et d’une étrangeté saisissantes. Annette, tel un album conceptuel ou un spectacle de Broadway, mélange avec habileté l’anxiété et la fascination, laissant une empreinte indélébile dans l’esprit du spectateur.

Annette de Leos Carax, 2h20, avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg – Au cinéma le 7 juillet 2021