Passage obligatoire à une époque d’industrialisation (ou d’essorage) des franchises, c’est maintenant à la saga Alien de procéder à son petit redémarrage. Reprise des mains du père Ridley Scott, qui doit désormais guetter la chose depuis son siège de producteur, cette dernière atterrit dans celles du cinéaste sud-américain Fede Álvarez, un habitué des « films de relance » qui s’adonne une fois de plus à sa spécialité. Intercalée entre celle du volet originel et du suivant, l’intrigue d’Alien : Romulus est de celles qui signent un retour aux sources – le cauchemar spatial et anxiogène aux paraboles sexuelles, dans le cas présent. Et le fait qu’il s’agisse du premier film à voir le jour sous la tutelle de Disney semble avoir son importance, tant ce septième épisode expose un cahier des charges et un regard sensiblement identiques à ceux d’un autre projet de résurrection mené par la compagnie aux grandes oreilles.
Son exploration appliquée des vestiges du passé, ses reconstitutions fidèles, son ambition de retrouver le souffle (acide) des débuts, ainsi que sa distribution de gamins anonymes (pour la plupart) rappellent les directives du Réveil de la Force, manège nostalgique par excellence qui signalait toute la fascination de ses scénaristes pour la trilogie originale de Star Wars. Le long-métrage de Fede Álvarez est parcouru d’une ferveur comparable, conçu comme un train fantôme dont les rails zigzaguent entre les références textuelles et plastiques. À son bord, des personnages inédits qui portent le costume des anciens et font l’inventaire des artefacts cultes, des connexions entre la moiteur du Nostromo et les tergiversations de Covenant, des bruitages et des cris pour un concerto sanguinolent, des images de pénétration dans tous les sens (mécaniques, charnelles, allégoriques), mais pas un gramme d’originalité. Ses efforts de démarcation, le film les concentre sur ses trente minutes de prologue, avant que le vaisseau du fan-service ne décolle pour ne plus redescendre.
Un prologue qui respire le même air austère que Blade Runner (l’autre chef-d’œuvre de Ridley Scott), avec sa pluie plombante, ses architectures indistinctes, ses gros projecteurs et sa population qui grouille telle une fourmilière. L’environnement n’est pas neuf, là non plus, mais Romulus y trace les contours de ses protagonistes en deux coups de manivelle et avance ainsi l’un de ses arguments forts : un groupe de jeunes mineurs en guise de héros, confronté aux horreurs du système capitaliste (un monstre encore plus flippant que le xénomorphe) et soudé par des motivations rondement symboliques – quitter le purgatoire en vue du paradis – qui nécessitent bien peu de mots pour se faire entendre. Comme prévu, la bande pénètre en enfer sans se faire prier. Et leur lente progression à l’intérieur d’une station spatiale abandonnée, censée leur offrir les ressources nécessaires pour s’échapper, cristallise le meilleur segment de cette sixième mouture.
Pour cause, Álvarez y met de sa personnalité, en sortant de sa manche trois concepts affriolants et jamais aussi puissants qu’à leur découverte : l’absence momentanée de gravité (qui offre au cinéaste la possibilité de manipuler son matériel sans contrainte et prouve sa gestion épatante de l’espace), la menace du nombre (les facehuggers se déplacent en meute lors d’une séquence de poursuite tétanisante) et le respect du compte à rebours (le film fait croire régulièrement à une action en temps réel). Du reste, Alien : Romulus est une copie correcte, sans ratures, frappée d’un paradoxe propre à son caractère nostalgique, lequel n’est partagé avec aucun autre épisode de la licence – et en fait donc un épisode à part – mais le condamne également à être le plus inoffensif. Pas le plus déplaisant non plus, cela dit, puisque son metteur en scène sait y faire en matière d’orgie dégoulinante, icônes phalliques et vulvaires, gratifiant son œuvre d’un cachet esthétique qui prend aux tripes. C’est à-propos.
Alien : Romulus de Fede Alvarez, 1h59, avec Cailee Spaeny, David Jonsson, Archie Renaux – Au cinéma le 14 août 2024.
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JACK7/10 BienConçu comme un train fantôme dont les rails zigzaguent entre les références textuelles et plastiques au reste de la franchise, Alien : Romulus concentre ses efforts sur son introduction tout à fait redoutable et sa mise en scène retorse, pour un épisode plus immersif que flippant.
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Vincent Pelisse7/10 Bien